Au fur et à mesure des invasions, les Lortins perdent leur territoire, sans aucun autre espoir que de fuir l'avancée ennemie à bord de nouveaux bateaux spécialement développés pour l'occasion. Ces bateaux de l'exode se trouvent être la seule solution trouvée pour échapper à un esclavage qui se met petit à petit en place là où les Lortins se trouvent conquis. D'abord initié par les Rileniens vers le 8ième siècle avant l'événement, ce système contraire à toute éthique est importé au 6ième siècle par les Garons qui ne tardent pas à faire subir à "leurs" Lortins le même sort. Domestiques méprisés, main-d'œuvre consommable, chair à canon pour les entraînements militaires, combattants destinés à mourir au nom du spectacle dans les différents tournois ou arènes, cobayes... Cette ancienne race commerçante et pacifiste subit les affres de l'esclavage dans sa plus grande horreur par un monde qui ne s'en émeut pas un seul instant, cet état semblant être rentré dans les mœurs, partie intégrante de l'ordre naturel des choses.

Aussi assiste-t-on à un exode en masse d'une partie des derniers Lortins libres, tandis qu'au loin les armées Rileniennes et Garones se mettent en marche dans leur direction. Véritable prouesse technologique et témoin du génie maritime de ce peuple meurtrit, la nouvelle invention emmène les Lortins vers d'autres horizons. Du moins l'espèrent-ils. Ces exilés disparurent sous le regard envieux de ceux qui furent laissés en arrière, faute de place, et qui allèrent mourir bravement sous le tranchant des esclavagistes dans un dernier baroud d'honneur. La mort de l'ultime combattant Lortin sonna le glas culturel de son peuple sur tout le continent. La claymore Rilenienne qui pourfendit son corps en -574 annonça dès lors l'avènement d'une nouvelle ère. Celle du moyen-âge.

Un tout nouveau paysage urbain et rural vit le jour. On érigea des châteaux le long de la frontière. On se constitua une flotte de vaisseaux démesurément grands pour protéger ses côtes. On vit apparaître les chevaliers, les trébuchets, les tout premiers canons, aussi dangereux pour leurs servants que peu précis. On vit la noblesse atteindre un haut niveau de perfection. On vit également le monothéisme remplacer le polythéisme millénaire. Des bâtiments religieux, ostentatoires au possible, permettaient aux deux puissances de légitimer leurs monarques comme représentation divine aux yeux du bas-peuple, et de leur faire accepter l'état des choses parce que "Telle est la volonté divine". La religion prend des proportions disproportionnées, touchant quiconque évolue dans l'Empire ou dans la Fédération. De petites guerres sans lendemain, motivées par la volonté de tester l'autre, éclatent entre les deux puissances. Du terrain est perdu puis reprit. Toutefois, la paix règne la majeure partie du temps entre les deux races.

Tout ceci change soudainement en -107, suite aux accusations fanatiques des Garons à l'encontre des Rileniens. Ces derniers, ayant adopté la culture Garone sur des points essentiellement religieux et artistiques, sans perdre cependant leur propre identité culturelle puisqu'ils adaptèrent à leur sauce et sous d'autres noms ces apports culturels, se voyaient accusés d'hérésie. Les Garons arguaient, non sans fondements, que l'Empire s'était inventé un Dieu sur la base de la religion Garone. Et que par conséquent, ils se devaient de reconnaître la véritable entité divine, et non leur honteuse et hérétique imposture idolâtrée, véritable insulte aux yeux des Garons.

De nombreuses discussions furent ouvertes, au cours desquelles les représentants religieux des deux races tentèrent de défendre leur point de vue et leur Dieu, les uns et les autres campant sur leur position avec passion. Finalement, constatant à quel point ces échanges verbaux étaient stériles, Empire et Fédération mirent fin au débat. Et chacun se prépara à la guerre. Une guerre d'une nouvelle dimension. D'une nouvelle portée. Une guerre religieuse, totale, sans concession. La faucheuse, du haut de son siège, riait de la bêtise des hommes, attendant patiemment que les milliers de cadavres viennent la nourrir. Et ce qui semblait inévitable arriva, sans surprise pour quiconque.

-92. Année maudite, au même titre que l'an 0. Les Rileniens, gonflés à bloc et lassés des insultes et de la haine Garones, alors que déjà les échanges commerciaux entre les deux races avaient chuté de manière spectaculaire, décident de prendre l'initiative. La Fédération, largement préparée à recevoir le choc, ne fut en aucun cas surprise par la mise en branle des armées adverses. Le spectacle de tout ces hommes, magnifiques dans leurs armures et par leur nombre, se mettant en marche pour aller laver l'affront, eu tôt fait de réveiller chez les Rileniens ce sentiment guerrier si commun, et pourtant si longtemps refoulé depuis la fin des républiques Lortines. Dans tout l'Empire un enthousiasme profond et sans limite se leva à l'idée de pouvoir participer aux plus grandes batailles de tous les temps. De l'autre côté, les Garons, après la déclaration de guerre de leurs adversaires, transmise en bonne et due forme, connurent le même enthousiasme débordant, mais pour une raison différente: celle de rendre justice au seul Dieu véritable, le leur.

La première bataille eu lieu aux abords de la Cité Garone Juramone, située à une petite centaine de bornes de la frontière. Le combat, épique, vit s'affronter la fine fleur des deux camps. Ce fut une débauche d'hommes, de matériels, d'armes, de stratagèmes et de technologies militaires. La bataille de Juramone entra dans l'Histoire. Elle dura douze jours et treize nuits. Les Rileniens en sortirent vainqueur, mais à quel prix! 65 000 cadavres attendaient d'être dévorés par les charognards, une multitude de machines de guerre de toute taille terminaient de se disloquer tandis que les survivants se retiraient, épuisés et traumatisés par la surabondance de violence reçue et donnée.

Trente-cinq jours plus tard, les quelques milliers de survivants Rileniens reçurent l'avant-garde des renforts, forte de 15 600 soldats, et purent lancer une pluie de projectiles à l'aide de catapultes, de trébuchets, de balistes, et de bombardes. Sans espoir de renforts, des représentants éclairés de la ville, s'étant débarrassés des religieux appelant la population toute entière à mourir en martyre, hissèrent le drapeau blanc et passèrent les clés de la ville aux vainqueurs. Ce fut la seule conquête des Rileniens. Saignées à blanc, ils n'avaient plus les moyens de recombler rapidement leurs effectifs pour se lancer dans la conquête d'autres territoires. Ils fortifièrent à leur manière Juramone et attendirent la contre-attaque Garone. Contre-attaque qui ne vint jamais. Tout comme les Rileniens, le sillon sanglant tracé dans leurs rangs ne leur permettait pas de mobiliser une armée digne de ce nom pour reprendre leur ville perdue. Un état de guerre larvaire s'installa aussitôt.

Les combats ne reprirent que 12 ans plus tard, en -80. Mais à cette époque ils se cantonnèrent à quelques actions sporadiques sur le territoire adverse, faites de pillages et de destructions. Les campagnes situées non loin de la frontière subirent de plein fouet cet échange sanglant, alors que les armées évitaient soigneusement cités et châteaux. Les Garons réussirent à remporter quelques combats lorsque les Rileniens se portèrent vers eux par petits groupes pour tenter de les harceler. Mais quand l'armée Impériale décida à nouveau de lancer une colonne complète en territoire ennemi, leurs adversaires furent contraints de sonner la retraite de leurs troupes dans un premier temps. On cru d'abord que les Rileniens allaient capturer une nouvelle cité. En réalité, ce fut un château qui subit leur courroux. Faisant échouer les tentatives Garones pour couper leurs lignes de ravitaillement, l'Empire obligea la Fédération à accepter une nouvelle bataille rangée d'envergure. Refusant de perdre une nouvelle place forte, et conscient du choc que cela avait provoqué au sein de leur population, les Garons lancèrent leur dernière armée dans la bataille. Celle qui allait décider du sort de tout un continent.

Des deux côtés, les pertes furent catastrophiques, provoquant un nombre effarant d'orphelins et de veuves. Cette dernière bataille scella l'issue de la guerre. Lassées, épuisées, effrayées, et appauvries, les populations des deux belligérants agitèrent le spectre de la guerre civile, forçant la main des puissants à engager des pourparlers.

L'Empire et La Fédération signèrent le "Traité des nations" en -54. Le document reconnaissait comme immorale la guerre et la bannissait du continent, promouvant la coopération entre les races et la libre circulation des biens et des êtres. On oubliait sciemment la véritable cause de tout ceci, honteux des conséquences dramatiques que cela avaient, et auraient pu amener. La religion monothéisme subit un brutal déclin, chacun revenant aux vieilles traditions religieuses d'avant -574.

Par la signature du "Traité des nations", Juramone, grâce à son importance primordiale dans cette guerre absurde et symbole d'un avenir meilleur, devenait la nouvelle "Kirkibron", ville d'échange privilégiée entre Rileniens et Garons avec un statut indépendant, zone neutre pour les négociations politico-économiques entre les peuples. La ville connut un essor miraculeux qui en fit un modèle dans le domaine de l'art, de la gastronomie et de l'économie. Resplendissante de milles feux, elle devint en -18 la ville la plus florissante et la plus peuplée de tout le continent. Une belle revanche sur le destin, lorsque 74 ans plus tôt, des montagnes de cadavres pourrissaient aux pieds de ses murs.

Cependant, bien que ce traité puisse remplir d'espoir et permettre d'aborder l'avenir en toute confiance, on oublie une chose: la condition des Lortins. Ces derniers restent aussi peu considérés. Quoique l'on entend de-ci de là de faibles protestations à propos de leur condition, chose inimaginable avant guerre. Quelques Lortins, moins d'une centaine, profitèrent du flottement ambiant suivant les premières années de la paix pour s'affranchir de leurs maîtres, parfois avec leur soutien discret, et réussirent à établir une petite communauté très soudée à Juramone où ils purent développer un nouveau système économique, le système bancaire (en réalité très vieil héritage des républiques Lortines qui en développaient le concept jusqu'au moment de l'exode, et qui a été sauvegardé jusque là grâce au bouche-à-oreille). Celui-ci leur assura un succès fulgurant, une prise en considération des habitants, et participa en grande partie à l'enrichissement et au développement de la Cité-Etat. Ils réussirent à racheter quelques-uns de leurs congénères esclaves par l'intermédiaire de soutien Garon ou Rilenien résidant dans Juramone, mais furent rappelés à l'ordre lorsqu'ils tentèrent davantage. Il était hors de question qu'ils inspirent, par leurs actions, une révolte d'esclaves ou bien un mouvement de sympathie pour leurs congénères enchaînés. La Fédération et l'Empire n'avaient aucun désir de se séparer de leurs esclaves. Et Juramone non plus. A leur grand désarroi, les Lortins de la Cité constataient qu'une épée de Damoclès pendait dangereusement au-dessus de leur tête. Les mentalités n'étaient pas encore prêtes à changer.